ART PRESS MARS 2017 / n°442

 

"Toute écriture qui ne crucifie pas efface"

 

Article signé Hélène Giannek

Dossier Agnès Rouzier / Cahier Critique de Poésie 31

 

Caroline Sagot Duvauroux

 

"La poésie c'est autre chose dit Christian Hubin, on y est. On n'est pas dans autre chose mais dans c'est autre chose. L'image n'est pas poétique mais césure dans la fuite du poème. L'inachèvement des phrases, assez simples, nous poste juste où le pas manque, mais le pas qui manque peut être protégé par le secret du bond. Il n'y a pas de ponts. On est distrait sans cesse de la lecture par un effacement de soi vers ou contre. Ainsi l'écriture efface au fur et à mesure, comme la lecture, la présence des choses précises données à l'instant d'une bifurcation rêveuse ou sanglante. De même que dans l'amour ou l'effroi tout est sens dessous dessus. On ne sera raccroche pas, on tombe où tomber fait presque mélodie par retentissement de chutes et résurgences d'inachèvement. Et l'inachèvement n'opère pas comme suspension vers mais comme effacement de soi dans. Avec insolence se brise la violence dans une délicatesse peut-être plus violente encore que le cruor de la réalité.

Tout est là des désirs et des sentiments, des reculs et des reprises seulement leur relation s'est défaite un peu comme dans l'étrange mémoire de l'alcool, peut se poursuivre une mémoire déconnectée de celle de la sobriété. L'impensable inquiète le possible. Et fait flirter l'absence avec la poursuite."

 

Eric Houser

 

"Il y a beaucoup de parenthèses dans le livre, rarement fonctionnelles car il ne s'agit pas d'insérer un élément accessoire, précision ou commentaire, énumération, exemple, dans le cours ordonné d'un discours. S'il y a un ordre, il est acéphale. Les parenthèses sont déviantes, on dirait des contrebandières transportant, transférant un peu de matière d'un bord à l'autre (d'un texte qui est sans bord). Et si la voix, ah! même (se fait sèche) que toute coupure, toute chair, toute... (tu me fais mal) déjà mourante, mouvante."

"L'ajustement dissociatif" de Joseph Guglielmi à propos de "Non, rien" paru dans le Bulletin n°7 d'Orange Export Ltd. en date du 31 décembre 1976 

 

Extrait

 

"Le délitement du récit et sa dissolution-ouverture nous amènent à ce point sans identité et d'éclatement où se situent les livres d'Edmond Jabès. Là où la brisure fait loi et marque l'émancipation du livre. Egalement, l'instabilité pronominale à l'exemple de l'in-différence des sexes, des organes, confère au texte un statut d'inépuisabilité. Le sens est toujours "sans (qu') aucun point où s'accomplir..." Tout, ici, dérape, décroche... Sans origine ni achèvement, le mouvement spasmodique et haché de l'écriture semble s'acharner surtout à défigurer, violenter, par l'effet d'un immense désir, l'intégrité du personnage-sujet, à pulvériser l'idée du moi-privilège en regard de l'animalité, l'organique (...)"